Gilets jaunes : la stratégie du gouvernement

Trois semaines après le début du mouvement des gilets jaunes, la technique du gouvernement, reprise par les partisans du président de la République, est celle de la manipulation de l’information. Dès le premier jour de la contestation, lors de la manifestation du samedi 17 novembre 2018, des incidents sans rapport direct avec le mouvement sont recensés : ainsi, une agression homophobe, des blessés légers (dont des altercations entre automobilistes et piétons). Cela continue les jours suivants, avec une multitude de détails sur les blessés ou les débordements, qui sont pourtant le lot de toutes les manifestations de cette ampleur en France avec plusieurs centaines de milliers de manifestants. On monte en épingle les casses faits dans la capitale, alors qu’ils sont l’oeuvre d’une petite minorité de manifestants violents, par provocation ou par désespoir, mais aussi de casseurs de banlieue qui viennent simplement pour voler et détruire sans aucune conscience politique. Plus grave, on a aussi souvent l’impression que la préfecture ne fait pas le nécessaire pour empêcher les débordements – peut-être pour ternier l’image des gilets jaunes.

Une autre technique visant à discréditer les militants visent à tenter de leur apposer une étiquette. On a ainsi accusé les militants d’être anti-écologistes, car ils manifestaient à l’origine contre la hausse des prix du carburant automobile. En réalité cette hausse est simplement la goûte d’eau qui a fait déborder le vase après les cadeaux faits à la grande bourgeoisie (ISF, flat tax sur les revenus financiers) et l’augmentation des taxes pour les plus démunis et les classes moyennes (baisse des APL, hausse de la CSG). Fréquemment on a aussi qualifié les gilets jaunes d’être d’extrême-droite, car certaines personnes interviewées sont des militants d’extrême-droite. C’est un raccourci mensonger : le mouvement des gilets jaunes est largement non partisan et s’est développé en dehors des partis traditionnels, sur Internet et dans la rue. Aucun parti politique n’a la main sur le mouvement même si certains le soutiennent, à droite, à gauche comme au centre (Rassemblement national, France Insoumise, Les Républicains, les centristes de Jean Lassalle). Enfin une dernière technique a été créée pour essayer d’éroder le mouvement. Les médias ont communiqué sur la création de groupe de foulards rouges dans le sud de la France, qui seraient opposés aux gilets jaunes. Le choix de la couleur rouge est assez intéressant, couleur normalement celle des communistes ou des révolutionnaires, mais rarement celle de la bourgeoisie. Diviser pour régner? Enfin, on a aussi accusé les gilets jaunes de plomber l’économie française, ce qui est assez maladroit, sachant que le mouvement s’est créé sur des problèmes économiques.

Emmanuel Macron doit son élection à la communication et au marketing, c’est donc à travers ce prisme qu’il a essayé de se sortir de la crise. Le gouvernement s’est donc attelé avec vigueur à la désinformation ou manipulation de l’information. En revanche, pour le reste, il a fait preuve d’un amateurisme effarant. D’une part, le mouvement de protestation a été grandement sous-évalué. Ensuite, Emmanuel Macron a voulu répondre à la contestation avec arrogance et fermeté. Ainsi, pour la manifestation prévue samedi 8 décembre, Édouard Philippe a annoncé vouloir déployer à Paris des véhicules blindés Berliet VXB 170 de la gendarmerie alors qu’ils n’ont jamais été utilisés auparavant dans la capitale. Déjà, la presse a reporté lors de ces dernières semaines l’utilisation de plusieurs dizaines de milliers de grenades lacrymogènes. C’est une erreur : on ne gagner face à la colère, la haine ou des groupes radicalisés avec une escalade de la violence. Ce qu’il faudrait, ce sont des gestes d’apaisement, du dialogue. Or, le chef de l’état, le gouvernement et les députés de la majorité ne se sont exprimés que pour condamner le mouvement sans montrer la moindre empathie. Le gouvernement a attendu le 30 novembre pour recevoir ses manifestants et le 4 décembre pour faire un geste timide (le renoncement provisoire à la taxe sur les carburants).

On peut aussi noter que si le gouvernement et les partisans d’Emmanuel Macron ont eu du mal à voir venir la contestation, c’est parce qu’ils sont assez isolés. Macron a été élu par les classes moyenne supérieures et la bourgeoisie, par des électeurs essentiellement situés à Paris et dans les grandes métropoles. De plus, il n’a pas véritablement de parti ancré dans les territoires et ne possède donc pas de nombreux relais locaux. La géographie des dons de la campagne d’Emmanuel Macron, révélée par le Journal du Dimanche daté du 2 décembre, montre que 56% des dons viennent de l’Île-de-France et 14% d’expatriés. Avec 800 000 euros de dons, le Royaume-Uni rapporte plus que l’ensemble des dix plus grandes villes françaises de province. Or, la contestation est partie de personnes modestes, vivant majoritairement en Province dans des territoires jugés délaissés par les pouvoirs publics. Le président est donc à la tête d’un pouvoir qui souffre d’un déficit de resprésentativité. Rappelons aussi qu’il n’avait fait que 24% au premier tour en 2017, trois quarts des Français ne lui ayant pas accordé leur confiance.

La colère et la baisse du pouvoir d’achat n’est pas l’unique fait des gouvernements d’Édouard Philippe. Ce dernier ne fait que poursuivre, avec parfois un peu plus de fermeté, la politique menée par François Fillon et Manuel Valls. Cependant, le gouvernement paye le mépris qu’il affiche pour les Français pauvres, eux qui travaillent parfois durs mais sont qualifiés de « Gaulois réfractaires au changement » du libéralisme et de la finance internationale.

Le Kremlin vous parle

Ce 18 décembre 2017, RT (Russia Today) a lancé discrètement sa version française qui suit ses déclinaisons en anglais, en arabe, en espagnol et en allemand. L’État russe a investi des millions d’euros pour cette chaîne qui ne sera probablement jamais rentable. RT est actuellement seulement disponible sur les boxs internet de Free, via satellite et sur son site officiel. Qu’est-ce donc que cette chaîne ? RT est un média international chargé de donner à la Russie une voix à l’étranger, similairement à ce que font d’autres grandes puissances avec France24, Al Jazeera, Voice of America, BBC World News ou China Global Television Network.

Officiellement chargée de promouvoir une meilleure image de la Russie, la chaîne fait évidemment partie intégrante de la politique étrangère du Kremlin. Un tour sur son site web indique bien qu’on est face à un contenu très particulier. En plus de défendre la ligne officielle du Kremlin, pro-russe et souverainiste, RT est une machine à critiquer la société occidentale. Le téléspectateur doit douter du monde qui l’entoure et comprendre que Poutine n’est pas le méchant dictateur corrompu décrit par les intellectuels et les journalistes des autres médias. Il ne s’agit pas de montrer qu’en Russie on vit comme en Europe occidentale, c’est exactement l’inverse : RT en fait des tonnes sur la corruption, la violence policière, l’injustice, les difficultés économiques et sociales, la perte de souveraineté et le déclinisme, pour faire croire au téléspectateur qu’en France, on vit comme en Russie. Le but est de créer de la confusion pour nuire à la réflexion et à l’esprit critique, un peu dans la ligne des slogans du roman 1984 d’Orwell : « La guerre, c’est la paix ». Enfin, comme pour l’agence de presse RIA Novosti, RT est très proche de l’extrême-droite française, en particulier des très connectés « identitaires ». Cette extrême-droite étant financée et supportée par la Russie de Poutine, ce n’est pas une grande surprise. La chaîne donc insiste lourdement sur l’immigration, l’islam et le terrorisme.

En diffusant dans les plus grandes langues européennes, le but de Poutine est donc de toucher les Européens directement, d’essayer de déstabiliser les principaux pays européens pour renforcer son pouvoir. Pas besoin de propagande grasse pour cela, il suffit juste d’appuyer où ça fait mal. Le complotisme, des informations à moitié vraies devraient réussir à créer quelque chose. On a vu que l’élection de Trump a largement été supportée par la Russie, tout comme l’indépendance de la Catalogne.

Au final, on peut quand même regretter que cette chaîne passe plus de temps à taper sur les occidentaux que de parler de la Russie. En effet, un rééquilibrage est sûrement nécessaire. En France, la majorité des journalistes sont généralement très mauvais quand il s’agit de parler de la Russie. Sans avoir besoin d’évoquer l’atlantisme ou le caractère anti-russe de certains papiers, la majorité des médias, y compris des publications majeures dites « sérieuses » comme le journal Le Monde, s’illustrent souvent par leur incapacité à comprendre la politique russe. La Russie y est présentée comme l’URSS de la guerre froide, on aurait presque l’impression que c’est encore le parti communiste qui gouverne le pays. Somme toute, le téléspectateur russophile devra se débrouiller à se faire son opinion entre les médias anti-russes, les médias incompétents sur la question russe et le nouveau média russe anti-occidental rédigé par l’administration poutinienne. Bonne chance !

Désinformation gouvernementale

Au cœur de la politique libérale du tandem Hollande/Valls, la contestation sociale bat son plein. Les manifestations contre la loi travail dite El Khomri sont fréquentes, le mouvement parisien « Nuit debout » s’est durablement installé place de la République, les grèves se multiplient. On devrait s’attendre à un peu d’écoute de la part des autorités : que nenni !

Le premier élément qui marque, c’est la violence policière. Soulignons tout d’abord que la préfecture de Paris, les CRS et la gendarmerie mobile font en général un travail remarquable pour encadrer les manifestations, où les incidents sont rares alors même que parfois des centaines de milliers de personnes énervées défilent. C’est vrai dans la capitale, mais pas seulement. Cependant, on semble observer une recrudescence inquiétante des bavures policières. Peut-être est-ce dû à la fatigue accumulée et au stress des forces de l’ordre, peut-être est-ce aussi dans le but d’étouffer la contestation. De nombreux cas de violences gratuites circulent sur les réseaux sociaux (voir des exemples en fin d’article) ainsi que des aggressions délibérées de journalistes par les forces de l’odre.

Les manifestations ont vu aussi apparaître, en particulier en région parisienne et en Bretagne, leur lot de casseurs. Il s’agit de jeunes encagoulés, prompts à en découdre avec la police mais à casser les vitrines et piller les magasins. Certains sont politisés mais ce n’est certainement pas le cas de la majorité. Ces ‘hooligans de manif’ sont responsable d’aggression honteuses contre les forces de l’ordre. Depuis la montée de la contestation contre les violences policières, sur les réseaux sociaux et dans certains journaux, ces casseurs sont mis en exergue dans les grands médias. On y associe fréquemment les qualificatifs d' »extrême-gauche » et de « gauche radicale ». Le but est évidemment de discréditer la contestation contre la politique gouvernementale ainsi que la gauche de l’opposition, à un moment où les sondages donnent le candidat du Front de gauche et celui du Parti socialiste au coude à coude pour les prochaines élections.

Bref, c’est une guerre de l’information : on tente de minimiser les violences policières (c’était le cas au mois de mai, où les réseaux sociaux pullulaient de vidéos et de témoignages mais les médias restaient très discrets) et on maximise les débordements desdits casseurs (qui existent cependant, et sont inadmissibles). De même, on a vu certains médias de droite mettre toute leur énergie pour discréditer les syndicats. On les qualifie d’extrémistes, d’illégitimes, voire de soviétiques, de mafieux ou de totalitaires ! Ces derniers ne sont certes pas parfaits et parfois leur direction est corrompue. En revanche, la majorité des syndicalistes, ceux de la CGT comme les autres, sont des gens qui se battent simplement pour que soient respectés les droits de leurs collègues. Monter les gens contre les syndicalistes, ça ne sert les intérêts que d’une petite minorité privilégiée. Encore une fois, il s’agit de diviser pour régner et de pousser les contestataires à se tirer une balle dans le pied.

Pour couronner le tout, Emmanuel Macron a été envoyé à Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour dévoiler un timbre célébrant le 80e anniversaire du Front populaire. Emmanuel Macron, un des artisans de la destructions des acquis sociaux. Bref, tout est fait pour brouiller les pistes et essayer d’étouffer la contestation, à l’inverse même des principes élémentaires de démocratie qui devraient favoriser le dialogue. Évidemment, la loi « travail » est passée grâce au 49-3 et la France est toujours sous l’état d’urgence.

Quelques vidéos illustratives :
Violence gratuite à Toulouse le 26 mai 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=FwZLr3sQld0
Violence gratuite à Toulouse le 14 mai 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=d5Xifqv6C0w
Violence gratuite à Paris le 14 juin 2016 : https://twitter.com/OneRadex/status/742831754726281218