Le corse est-il une langue ?

On a pu étudier le ch’ti il y a quelques jours. Essayons avec un autre idiome : le corse. Inutile de le présenter : comme son nom l’indique, le corse est originaire de l’île éponyme.

Le corse est extraordinairement proche du toscan, en particulier pour ses variantes de la Haute-Corse (le cismontano) ; rien d’anormal quand on sait que Pise a longtemps eu une grande influence sur l’île. Ainsi, un locuteur italien comprend facilement 90% du corse sans n’avoir jamais étudié ou entendu cette langue (j’ai testé), l’accent étant le principal obstacle. En effet, l’accent corse est bien différent de l’italien standard d’aujourd’hui – le corse est plus lent et moins limpide que l’italien, car on étouffe pas mal de sons (on retrouve ce type d’accent dans certaines régions d’Italie). Le corse a aussi quelques mots particuliers, un peu comme le français québécois vis-à-vis du français européen.

Originellement, en Corse, comme partout en Europe, on parlait des dialectes différents avec des prononciations distinctes dans chaque vallée. Le vocabulaire pouvait être assez différent (les chercheurs estiment les différences entre 10 et 20%), mais les locuteurs étaient capables de se comprendre. Ainsi, à Sartène on parlait quasiment le gallure (dialecte du nord de la Sardaigne), au sud d’Ajaccio on parlait l’oltramontano (avec ses prononciations en « u », comme en sarde) et au nord on avait un dialecte plus proche du toscan, particulièrement dans le Cap. Exception notable, à Bonifacio – sans doute à Calvi aussi – on parlait ligure – une langue bien différente du toscan et du corse actuel. Pour les curieux, les linguistes ont réalisé des cartes qui reproduisent le mieux possible la répartition de ces dialectes.

L’idée de langue corse en tant que telle est une invention très récente. Le corse d’aujourd’hui, tel qu’il est enseigné, n’est écrit que depuis 1960. Jusque la Seconde guerre mondiale, « le corse » désignait les dialectes parlés en Corse, alors que les journaux et les écrits locaux étaient édités en italien standard (à l’exception des communications administratives qui étaient évidemment en français).

Après la Seconde Guerre mondiale, une langue-toit regroupant les caractéristiques des différents dialectes est créée. Le but initial est de permettre aux Corses francophones bilingues de transmettre leur culture aux jeunes générations. La création est aussi fortement influencée et motivée par le le rejet de l’irrédentisme puis la montée du nationalisme. Cela va avoir des conséquences étonnantes. Lors de la création de la langue, le contre-pied de l’italien est systématiquement choisi : on prend le « u » du sud plutôt que le « o » du nord, on adopte une graphie exotique « vechju » plutôt que « vecchio » (ces deux exemples sont prononcés identiquement). La langue corse cherche à se singulariser. Pour les nationalistes, il s’agit de montrer qu’on a une identité forte avec des symboles nationaux : un pays, une culture, un drapeau… une langue indépendante.

Aujourd’hui, le corse est encore assez vivant car il y a un regain d’intérêt chez les nationalistes et les défenseurs de la culture de l’île, cependant une bonne partie des locuteurs parlent avec l’accent français – c’est le cas dans la majorité du contenu en corse que l’on trouve sur Youtube – et même ceux qui le parlent bien, parlent un corse assez francisé, à cause de la proximité du français.

On pourrait ergoter sur le fait que le corse soit un dialecte ou un patois. En fait, la limite entre dialecte et langue est très subtile. Un dialecte ou un patois est souvent une petite langue qui n’est pas reconnue par une entité politique. Les frères Bernardini chantent avec des mots qu’il ont appris de leur maman : c’est donc bien une langue organisée, qui permet de communiquer et d’exprimer des idées. L’unique question à se poser est donc la suivante : est-ce une langue distincte des langues déjà existantes ?

C’est là que le bât blesse. La linguistique se moque de la politique. Comme en biologie avec les espèces, les linguistes se basent sur les caractéristiques observables. Ainsi, la langue officielle du Monténégro est le monténégrin, mais pour les linguistes, c’est du serbo-croate. Évidemment, les Corses qui sont fiers prétendent souvent qu’ils ont « leur » langue, mais pour certains linguistes c’est une juste une petite variante du toscan. C’est à dire que le corse serait au toscan ce que le ch’ti est au picard, une variation locale. Certains Corses soutiennent cette hypothèse, il y a d’ailleurs même des sites corses, écrits par des Corses, qui parlent de la Corse… en italien (voir ici par exemple). Linguistiquement parlant, le statut de « langue corse » est donc plus politique que réaliste, ce qui n’enlève rien à la qualité de la langue parlée sur l’île de Beauté. En outre, chacun a le droit de l’appeler comme il veut – comme dans le Nord, le peuple n’appelle pas le picard picard mais ch’ti, voire récemment encore simplement patois.

La France n’est pas responsable du Vél d’Hiv

Emmanuel Macron a déclaré, lors d’une cérémonie en présence du premier ministre israélien, que « c’est bien la France qui organisa » la rafle du Vél d’Hiv en juillet 1942 et la déportation de milliers de juifs. C’était Jacques Chirac, qui, le premier, avait affirmé la responsabilité de la France en juillet 1995. Évidemment, la déclaration de ces deux présidents a des visées électoralistes et diplomatiques. On sait aussi qu’Emmanuel Macron est plus à l’aise en économie qu’en histoire-géographie : on se souvient de sa sortie sur le fait qu’« il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse» en février ; du fait que la Guyane est pour lui une île en mars et que dans son livre Révolution, publié en novembre 2016, il place « Villeurbanne en région lilloise ».

Cependant, cette attribution du Vél d’Hiv à la France est une stupidité d’un point de vue historique. Il ne s’agit pas d’occulter des moments peu glorieux ou de se donner bonne conscience, ni de nier la responsabilité du gouvernement de Pétain, mais de remettre les événements dans leur contexte. Vichy est géographiquement à 50 kilomètres environ de la zone occupée par l’Allemagne nazie, le gouvernement de Pétain en 1942 n’a pas de réelle armée ou pouvoir géopolitique. Le gouvernement de Vichy travaille étroitement avec Berlin. On ne peut pas dire non plus que les Français, sauf peut-être à Vichy même, étaient tous derrière leur gouvernement. Il y a bien entendu tous les Français qui ont caché des Juifs, qui étaient dans la Résistance ou qui étaient simplement hostile au maréchal. Précison aussi que parmi les partisans du maréchal, on trouve à l’époque beaucoup de gens attachés aux traditions et au catholicisme, sans pour autant être en accord avec le volet extrême-droite. Inutile de le préciser, la majorité des Français de l’époque n’étaient ni collaborateurs, ni résistants, ils essayaient de survivre dans la guerre. Le gouvernement de l’époque, installé dans le Massif central, n’était ni légitime, ni souverain, c’était une marionnette de l’Allemagne nazie. Il participait même à l’effort de guerre allemand ! La France n’avait à peine plus de marge de manœuvre que l’Autriche ou la République tchèque. Laval était probablement heureux de collaborer, mais s’il avait exposé ses ambitions au grand jour au vote des Français en 1939 ou en 1945, il n’aurait pas été élu. Enfin, précisons qu’en Allemagne comme en France, la population n’avait pas une connaissance claire des exactions commises par le pouvoir (beaucoup ont découvert les camps de concentration en 1945).

On ne peut parler de responsabilité et de pouvoir que quand l’état est souverain. Ainsi en Syrie, on ne peut pas tenir Bachar El-Assad responsable des exactions qui se passent dans la zone qu’il ne contrôle pas. Daech, ce n’est pas la Syrie, même si une partie est géographiquement en Syrie. Le Vél d’Hiv, ce n’est pas la France.

Les anti-vaccins et l’absence de rigueur scientifique

Agnès Buzyn, hématologue et ministre de la Santé, a annoncé vouloir porter de trois à onze le nombre de vaccins obligatoires en France pour les enfants. Serait ajouté au vaccin obligatoire DTP (diphtérie, tétanos, poliomyélite), ceux contre la coqueluche, la rougeole, les oreillons, la rubéole, l’hépatite B, l’infection par la bactérie Haemophilus influenzae, le pneumocoque et le méningocoque C. En pratique, il s’agit presque d’une formalité. En effet, les huits vaccins restants sont recommandés et presque tous les enfants les ont, mais de plus, les vaccins obligatoires sont souvent combinés avec d’autres recommandés pour une seule injection. Par exemple, le vaccin appelé « DTCP-Hib » inclut, en plus de DTP, la coqueluche et les infections à Haemophilus influenzae. Tordons le cou à une idée reçue, cette vaccination obligatoire n’est pas une spécificité française pour protéger nos laboratoires. Une dizaine d’autres pays européens ont une vaccination obligatoire. De plus, de nombreux pays européens où la vaccination n’est que « recommandé » ont dans les fait un taux de vaccination plus élevé qu’en France.

On observe une levée de bouclier importante face à cette vaccination obligatoire. Sur les réseaux sociaux sont partagés des dizaines d’articles incitant les gens à ne pas se vacciner. Le phénomène prend une telle ampleur qu’il en devient inquiétant, pour plusieurs raisons. La principale, c’est que la vaccination sauve des vies. Par conséquent, refuser de vacciner son enfant, c’est aussi prendre le risque qu’il meurre ou qu’il transmette une maladie mortelle à un enfant qui ne peut pas être vacciné (parce qu’il a une pathologie ou une allergie). Un seul exemple : le tétanos. Le tétanos peut s’attraper facilement dès qu’on a une plaie, suite à une blessure, une morsure de chien, une griffure de chat, un tatouage ou une opération chirurgicale. Le tétanos entraîne la mort dans 20 à 30 % des cas. Pour les chanceux, la guérison passe souvent par des soins intensifs. Autre fait, le vaccin antitétanique est considéré comme très sûr et efficace par le monde médical et n’entraîne que très peu de réactions allergiques (quelques cas par million de doses).

Est-ce que les laboratoires se font beaucoup d’argent avec les vaccins ? Ce n’est pas leur activité la plus rentable, mais oui, ils ne le font pas à perte. Lesdits laboratoires ont donc un intérêt commercial, mais cela invalide t-il leur produit pour autant ? Si le commercial est sournois, le chercheur biologiste peut être sérieux et le produit peut être bon quand même. Je regrette personnellement que l’industrie pharmaceutique ne soit pas un service public. L’état doit bien sûr contrôler et surveiller la production. Les scandales sanitaires existent (sang contaminé, amiante, Servier) mais cela n’est pas pour ça que tout est pourri. Une entreprise pharmaceutique qui rate ses vaccins ou ses médicments va aller rapidement à la faillite, ce n’est pas son intérêt économique. Il faut reconnaître que l’industrie pharmaceutique est un lobby dangereux pour la démocratie et que, c’est vrai, il y a des cas rares de graves effets secondaires après la vaccination. Ceci ne doit cependant pas mettre en cause la validité de la vaccination. On touche ici l’élément clef : les anti-vaccins, et la population en générale, a beaucoup de mal à comprendre un raisonnement scientifique. Il est intéressant de lire les discours et de regarder les écrits de ses « antivax » : ils se basent souvent sur des rumeurs, des sources pas très fiables, ils ne recoupent pas leur informations… Pour l’anecdote, j’ai vu un internaute relayer une information qu’il avait vu sur un site entre un article sur « L’Islam et la résistance au Nouvel Ordre Mondial », un autre sur « Le secret de Toutankhamon qui aurait pu détruire le sionisme », en passant par les illuminatis et les huiles essentielles. Une visite rapide sur un moteur de recherche aurait pourtant permis à un béotien de trouver des informations détaillées et pédagogiques d’universités francophones ou de l’Organisation Mondiale de la Santé. Tristement, beaucoup de gens relaient les informations qu’ils lisent ou qu’ils entendent sur les réseaux sociaux, sans même chercher à les vérifier.

La lutte contre la vaccination relève à la fois de l’obscurantisme et de l’absence de méthode de réflexion. On attribue aussi au monde de la science de vouloir comploter contre le peuple. C’est du fantasme. Il n’y pas de sujet passés sous silence par les scientifiques. La communauté scientifique – quel que soit le domaine, archéologie comme mathématiques – est diverse et variée. Il y a des chercheurs dans des universités richissimes avec des tonnes de brevets, des chercheurs isolés passionnés qui économisent sur leur confort pour leur passion, il y a des athées, des bouddhistes, des libéraux, des socialistes. Il y en a de tous bords politiques et religieux. Il y a des scientifiques au Japon, en France, en Iran, en Russie, en Argentine. Tous ont des motivations différentes : le partage, la reconnaissance par leurs pairs, l’argent, l’enseignement. Bref, si une chose géniale ou dangereuse est découverte, c’est impossible à cacher, cela sortira toujours par quelqu’un.

Il y a cinquante ans, quand les virus faisaient tomber les gens comme des mouches (polio, coqueluches etc), personne n’aurait eu l’idée d’être anti-vaccin. Aujourd’hui, quand tout le monde est sain à cause de la vaccination, que des virus sont quasi éradiqués, on entend « les vaccins, ça sert à rien, c’est dangereux » …